Borderlines
L’exposition “Borderlines“ présente des photographes qui abordent sous un angle très personnel la crise actuelle et ses différentes composantes. “Borderlines“ doit se lire comme expression d’une crise qui atteint son paroxysme tout comme une réflexion sur les limites, les frontières – tant dans son sens premier que son expression métaphorique. Les réflexes de rejet lors de la crise des réfugiés,le repli sur soi, la résignation ou l’agressivité que le chaos économique engendre dans certains pays, la méfiance généralisée devant l’étranger – d’où nécessité de le surveiller – tous ces aspects sous-tendent les discours des divers acteurs actuels et l’orientent vers une violence encore contenue mais de plus en plus visible.
Le travail de Dimitris Michalakis fait voir les effets de la crise qui frappe la Grèce actuellement. Depuis 2009, une grande partie du peuple grec a été confrontée aux conséquences d’une grave crise financière et économique. Des milliers de personnes, des chômeurs de longue durée aux commerçants qui ont perdu leurs magasins, dépendent des soupes populaires pour survivre. Le nombre de personnes qui se sont suicidées à cause de la crise dépasse les 4000. Les rues d’Athènes et d’autres villes grecques se remplissent parfois de milliers de manifestants. L’insécurité, la peur, le fatalisme, la résignation, la rage et la colère l’emportent sur l’organisation, le collectif et la solidarité.
Retournant régulièrement en Hongrie, le photographe luxembourgeois Patrick Galbats poursuit sa quête biographique sur ses ancêtres hongrois. Son immersion dans cette partie de sa famille qui n’a jamais quitté la Hongrie, le confronte à l’histoire actuelle mais aussi au passé nazi de la Hongrie , au renouveau du nationalisme visible lors de la récente crise causée par le refus d’accepter les réfugiés sur son territoire. Sa photographie montre des signes et symboles qui déstabilisent la narration autobiographique en révélant, dans les paysages ou intérieurs en apparence bien innocents, la nostalgie nationaliste et le renouveau fasciste.
Balázs Deim, artiste – photographe hongrois, se penche sur la société urbaine d’aujourd’hui et ses caméras de surveillance, ces “instances“ invisibles de contrôle, signes d’une nouvelle réalité. Deim installe dans l’espace public des cameras obscuras aux endroits mêmes où se trouvent les caméras de surveillance, pour capter les mouvements des passants. En raison d’un temps d’exposition très long (plusieurs semaines) , les personnes, les véhicules en mouvement disparurent de la surface des photo ne laissant que les places vides. Les images produites s’inscrivent dans la négation des caméras de surveillance des autorités lesquelles se concentrent sur les personnes et l’action.
Martin Kollar a passé quelque temps en Israël. Ses photos rendent compte d’une expérience qu’il décrit lui-même comme quasi paranoïaque. Ses déplacements dans le pays et les contrôles fréquents dont il a été l’objet lui ont rappelé les souvenirs de son enfance qu’il a passé derrière le rideau de fer pendant la «normalisation» de la Tchécoslovaquie communiste. ;
« D’une certaine manière», écrit-il, «je me retrouvais dans mon passé psychique où – comme sous le régime communiste – la police de sécurité israélienne enregistrait mes mouvements, inspectait mon ordinateur, vérifiait mes papiers.» Les photographie de Kollar doivent donc se lire comme miroir de ses tensions et angoisses qui se projettent sur les objets et décors captés par l’objectif de sa caméra. Le malaise est visible, palpable au-delà de ce qui est montré.
Le travail photographique deFlorian Rainer se penche sur l’année 2015 et la crise que la contestation de l’accueil généreux des réfugiés a généré en Allemagne. Les photographies de “Fluchtwege“ (Chemins de fuite) ont été prises avec l’aspiration de montrer sous un autre angle esthétique les mouvements migratoires transcontinentaux. Plutôt que de montrer des scènes de masse – des tableaux dramatiques de personnes arrivant en Europe et luttant pour passer les frontière et les barrages mis en place par les États – ie photographe montre des images fréquemment plus sereines d’êtres humains qui atteignent le premier pays qui peut leur offrir l’asile. Un livre accompagne ce travail composé d’essais et d’articles d’écrivains et journalistes autrichiens renommés et couvrant les événements de l’automne 2015.
Julian Röder a travaillé comme photographe d’agence. Son esthétique refuse le sensationnalisme courant et prend plutôt politiquement position à travers un style documentaire esthétiquement engagé. Son travail met en évidence les dessous sombre des sociétés néolibérales et les enchevêtrements fatals du pouvoir et de l’économie. Ainsi dans les photos couvrant le Salon international de la Défense à Abu Dhabi où l’industrie militaire présente des technologies de défense de pointe. Röder donne un aperçu convaincant, ironique et affligeant à la fois d’un monde où le commerce vigoureux transforme même la machinerie lourde du meurtre en marchandises brillantes (série World of Warfare, 2011).
L’exposition a été réalisée dans le cadre d’une collaboration internationale de Café-Crème asbl sous le titre de Looking for the Clouds, exposition du réseau EMOP ( European Month of photography asbl)regroupant les institutions dédiées à la photographie de 8 capitales européennes (Athènes, Berlin, Bratislava, Budapest, Ljubljana, Luxembourg, Paris et Vienne. Quatre autres volets de Looking for the Clouds peuvent être vus au Luxembourg, à savoir au Mudam, au Casino, au Mnha ainsi qu’à la Villa Vauban.