Memory Lab I – photography challenges history : Ré-écritures
Dans le cadre de la 5e édition du Mois européen de la photographie au Luxembourg (en partenariat avec les villes d’Athènes, Berlin, Bratislava, Budapest, Ljubljana, Paris et Vienne) Café-Crème asbl présente sous le thème de Memory Lab – Photography Challenges History une exposition qui se décline en quatre parties selon les différents lieux.
Memory Lab, Photography challenges History aborde le thème de la mémoire et de l’histoire à travers la pratique photographique contemporaine. Comment la photographie contemporaine aborde-t-elle le passé, notamment les événements qui caractérisent l’Europe et son histoire, les conflits et les grandes guerres ? La photographie a dépassé depuis longtemps son statut d’enregistrement des faits en combinant fiction et réalité sur différents modes à travers la sensibilité personnelle, la distanciation ironique et la subjectivité analytique.
La photographie contemporaine, surtout dans son développement post-photographique, fait émerger des artistes qui questionnent l’image en tant que médium. Plutôt que d’inventer de nouvelles images, ces artistes se servent de la photographie pour « ré-écrire » et /ou « re-présenter » (présenter autrement) les événements historiques et politiques en s’appuyant souvent sur des représentations existantes, tout en faisant y apparaître des traces personnelles.
Parfois leur commentaire visuel est captivant, voire caustique ou déroutant. Les images ainsi réinterprétées, qu’elles soient photographiques ou vidéographiques, mettent volontairement le spectateur sous tension.
Par le jeu de fascination et de distanciation occasionné par les nouveaux formats présentés dans le cadre muséal, l’artiste arrive à changer le message.
Ainsi il intervient sur le flux de la communication, déconstruit la narration originale de l’image et confère aux photographies et aux vidéos une nouvelle dimension esthétique.
Avec sa série “Iconographies” (2013) (7 portraits de “leaders” politiques, militaires et religieux de l’ère de la Guerre froide) David Birkin revisite la photographie de presse. En ouvrant la porte au musée à ces images dont la destination était une toute autre, il dénonce en quelque sorte le déclin du journalisme. Sélectionnées à partir d’une archive de plus de cinq cents mille clichés, ces images de planche-contact ont été agrandies et “dé-légendées”, tout en gardant les retouches et annotations de l’éditeur.
La source d’inspiration chez Broomberg& Chanarin est aussi souvent l’archive. Leur livre Holy Bible et la série de photographies qui s’y rattache sont inspirés du carnet de notes de Bertolt Brecht, qui était en fait sa bible personnelle dans laquelle il collait des images, soulignait, biffait et écrivait des phrases au quotidien.L’actualité est réécrite à travers une démarche qui lie le privé et le public, les faits et leurs interprétations.
L’installation vidéo « Blue Train » de l’artiste canadienne Vera Frenkel qui rassemble des vidéos, des images fixes et des textes raconte le voyage de la mère de l’artiste fuyant l’Allemagne nazi pour se rendre à Paris. Inspiré par des images de Black Star Archive et le fond Werner Wolff de l’université Ryerson cette installation mélange le document et la fiction, le privé et le public et crée, par la multiplication des perspectives, une narration à la fois sereine et émotive.
Chez Antony Cairns dans sa série LDN la narration est perturbée par une temporalité décalée qui la rend très mystérieuse. En utilisant le film 35 mm et la solarisation ses « urban scapes » semblent évoluer hors du temps. Comme figées entre présence et absence, entre passé et futur ses vues urbaines nous racontent une histoire apocalyptique à partir d’un réel défiguré par le procédé photographique.
Dans l’ensemble de l’exposition cette démarche photographique qui prend une dimension politique par la mise en abyme du sujet est accentué par la juxtaposition entre images qui s’opposent où se correspondent entre elles tout en activant la mémoire collective.
Avec « Zement » de Tatiana Lecomte, le lieu, qui se limite visuellement à l’emplacement de la marie-louise devient presque abstrait. Le nom de la série provient du code militaire et politique qui indiquait l’emplacement des camps de concentration à Ebensee devenu une cité après la guerre. Comme souvent chez Lecomte la photographie, qu’elle soit trouvée ou réalisée par l’artiste, témoigne des traces historiques des lieux qu’elle repère et qui se révèlent fragmentés au spectateur comme une espèce d’acte photographique iconoclaste.
L’importance de la construction visuelle dans ces œuvres comme l’incitation à un regard critique sur les représentations se manifeste aussi à travers l’installation vidéo « Das Fenster » de Gàbor Ősz. Le paysage enchanteur n’est rien d’autre que la montagne Obersalzberg, un lieu très chargé historiquement, et qui dégage une aura mystique et inquiétante et cela depuis le moyen-âge jusqu’au siècle dernier (Hitler y avait sa résidence d’été).
Ainsi, l’ensemble des œuvres exposées, que ce soit par le détournement médiatique et plastique, la réappropriation d’iconographies historiques et religieuses ouvre de nouvelles voies à l’ interprétation du champ de l’actualité en référence directe ou sublimée au passé.